Bernard de Montgaillard – L’histoire mouvementée d’un grand abbé d’Orval

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En pleines guerres de religions en France au XVIe siècle, dans un climat de violences civiles, c’est la rue qui fait la politique. Occupant les espaces publics, des religieux fondamentalistes, par leurs prêches de haine, mèneront à deux régicides en vingt ans. Que ce soit pour Henri III ou son successeur, le bon roi Henri, c’était chaque fois l’intolérance qui armait son moine assassin !

Montgaillard a la fougue de la jeunesse sans y prendre la vraie mesure des dégâts que peut faire son verbe haut, bien plus redoutable que son épée à deux mains qu’il exhibe dans les processions.

En toute circonstance, nous apparaît alors un être impulsif, mais toujours maître de lui, de constitution robuste puisque capable de supporter longtemps chez les Feuillants l’insupportable des régimes insensés, démesuré dans tout ce qu’il entreprend, pratiquant toujours la force que revendique son blason, que rien ne peut déstabiliser vraiment, qui ne passe nulle part inaperçu et qui a, dans l’adversité, un art de rebondir tout à fait singulier. Osons même le terme, un art venu d’ailleurs.

Tel quel, Montgaillard a tous les ingrédients pour entrer dans la légende qui lui assurera à jamais une place de choix dans les mémoires.

L’abbaye d’Orval et l’ASBL « Aurea Vallis et Villare » ont été des partenaires particulièrement enthousiastes dans l’édition de ce livre qui évoque assez fidèlement une importante page de l’histoire de l’abbaye d’Orval.  Lors de ses prochaines NOCTURNES  organisées dans les ruines de l’abbaye médiévale (  8 au 10 août 2013) , les membres de l’asbl « Aurea Vallis et Villare »  en feront le fil conducteur dans l’évocation de la biographie de cet illustre abbé qui  , durant son abbatiat de 1605 à 1628, contribua à faire d’Orval un monastère rayonnant tant sur le spirituel que sur le temporel.

Avant-propos

hugues rogier
L’auteur
Licencié en philosophie et lettres, et une fois sa carrière d’enseignant terminée, Hugues Rogier en est arrivé à l’heure des bilans. Ceux de Montgaillard, à ce propos, lui ont paru exemplatifs: une vie en constante évolution au gré des rencontres, des valeurs qu’on se donne, des leçons que l’on tire des expériences, des regrets souvent, parfois même de stériles remords. Tous les saints n’ont pas bien commencé. Mais leur point commun, c’est qu’ils ont tous bien fini.

À aimer l’abbaye d’Orval comme la plupart des Gaumais dont je suis, j’ai voulu lui rendre hommage en écrivant la biographie de Montgaillard, un de ses plus illustres pères abbés. J’exprimais ainsi  un merci amical à la Communauté actuelle qui abrita pendant de longues années les trois jours de réflexion de nos classes terminales d’humanités. Mais plus généralement, au-delà de ma propre gratitude, je voulais exprimer celle d’une région qui sait ce qu’elle doit à ses moines depuis toujours.
Rien de plus au départ, mais rien de moins non plus.
L’exercice s’annonçait facile: il fut difficile. Le personnage, talentueux et hors normes, avait l’opacité de ses contradictions, de son souci réel de sainteté et de ses options pas toujours très catholiques qui l’étaient pourtant tout à fait pour l’époque. Car tuer au nom de Dieu n’avait pas alors de quoi effrayer des moines soldats qui, plus qu’en prière dans leur cloître, défilaient dans les rues à réclamer la déchéance du roi (et dans l’intimité, pourquoi pas son élimination physique ?).
Or c’était bien une demande pressante du Concile de Trente que les moines restent dans leur monastère. C’est dire dans quel délabrement moral pouvaient se trouver certains monastères. Ajoutez à la complexité du personnage celle d’une époque qui était loin d’être celle d’un long fleuve tranquille puisqu’en pleine guerre de religion en France et voici un simple spectateur des imbroglios politiques prêt à en devenir un acteur très agissant. La force de ses armes ? Ce n’est pas cette épée à deux mains qu’il exhibe dans certaines manifestations, mais la puissance de son verbe que le roi Henri III a remarquée à Paris, que l’Archiduc Albert remarquera plus tard à Bruxelles. L’humaniste Juste Lipse loue son éloquence dans une épître qu’il lui consacre, un professeur de médecine fait le déplacement de Louvain chaque fois qu’il prêche à Bruxelles et les gens fortunés envoient leurs valets s’assurer leurs chaises en les occupant parfois trois heures à l’avance.
Au départ, je connaissais de lui  ce qu’en disent les clichés: on a appelé Montgaillard le petit Feuillant, le valet de la Ligue, le deuxième fondateur d’Orval … Quand on a dit cela, on a tout dit et, en même temps, on n’a rien dit. Ces trois moments de sa vie sont tellement contradictoires qu’ils témoignent chez lui d’une rare évolution, en langage spirituel, parlons plutôt d’une véritable conversion. Or la sainteté est bien l’objectif premier de toute vie humaine, comme l’a rappelé  le Concile de Trente qui se termine quand naît Montgaillard.
C’est comme moine qu’il compte bien faire son salut. Et c’est précisément eux qu’attaquent avec virulence les protestants, les trouvant particulièrement mondains. Ces monastères aux mœurs relâchées existent. Mais c’est chez les Feuillants, que réforme Jean de la Barrière dans un ascétisme pur et dur, qu’ira le jeune Bernard. Ses homélies déplacent des foules et suscitent des conversions: il obtiendra une dérogation spéciale du pape pour recevoir l’ordination sacerdotale à 19 ans alors que le concile venait d’en fixer l’âge minimum à 25. Et quand on lui offrira trois évêchés, il les refusera avec un même détachement des biens matériels.
A mes yeux, le personnage était donc crédible dans toutes ses démarches; il ne manquait à Montgaillard que la parole. Je la lui prêterais.

De là ce travail.

Hugues Rogier

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